Dreamers, la plongée dans un maelström de rêves • Burlet Solène


Ils sont vingt. Vingt jeunes sur scène, clamant haut et fort de leurs vingts voix leurs rêves, leurs cauchemars mais aussi leurs peurs. Entre rêve et réalité, mélange des corps et de la rêverie, une chimère  créer sur scène où les allégories s'entremêlent et s'entrechoquent.

Les comédiens viennent se placer au centre du plateau, tous alignés juste à côté de l'instrument majestueux et noble parsemé de touches noires et blanches. Un moment de silence s'abat dans toute la salle. Nous sommes dès lors tous attentifs aux moindres sons, attendant patiemment que les doigts du comédien Valentin Clabault viennent effleurer les touches. Premier son, premières notes, nous reconnaissons distinctement “Hallelujah” de Jeff Buckley revisité ici par Alexandre Meyer. Un torrent de voix se lève alors, percutant, parfaitement synchronisé entre eux, brisant le silence ambiant. Dans la salle, des ondes de frissons parcourent l'entièreté de notre corps, sensation à la fois étrange et indescriptible que nous offrent ces comédiens, délicat, léger, planant, dans une diction parfaitement mâcher, parfois brutale.


Aujourd'hui, notre jeune génération est considérée comme étant obnubilée par nos téléphones portables, devenant ainsi le véritable prolongement de nos mains. Le metteur en scène décide alors de nous rendre comptes des rêves et fantasmes débordants dans le cadre d'une fête, dans un cadre clos, qui ne se termine pas forcément d'une bonne ou d'une mauvaise manière mais sombre petit à petit dans les émotions les plus profondes. C'est donc par ce biais marquant que Pascal Rambert décide de rendre compte des rêves des jeunes de cet ère. Omniprésence de l'écran, de l'appareil photo ayant une symbolique marquante, ils forment une masse mais pourtant, celle-ci est comme "individualisée". Les voix sortent, se délient, s'entrechoquent, s'entremêlent ; ils se retrouve à la fois chacun dans leurs propre case, leurs propre monde mais partage à la fois les même rêves, identiques, similaires, des rêves de futurs, des rêves d'ailleurs, des rêves de grandeurs, d'amour ; le mot "rêves" soit "dreamers" en est par ailleurs le nom même de la pièce. 

Pascal Rambert décide d'apposer à ce récit un fond beaucoup plus symbolique, le sacrifice d'Isaac. Ainsi, de part ce récit biblique, cette épopée que représente cette longue et périlleuse traversée, il met finalement cela en corrélation avec cette sorte de "traverser" de ses jeunes comédiens vers la vie d'adulte. Grâce à ces questionnements que nous nous posons tous et toutes durant cette période charnière de notre vie, Pascal Rambert arrive à capter l'attention de spectateurs plus ou moins jeunes dans toute la salle. Mais alors, comment Pascal Rambert parvient- il à montrer cette traversée de cette bande jeune vers le passage à l'âge adulte ? 


Ce travail commence 3 ans en arrière, Pascal Rambert rencontre alors cette bande de jeunes comédiens issus de l'école du TNB et leurs écrit pour chacun des rôles sur-mesure. Il leur demande d'enregistrer leurs rêves dès leurs réveils puis de lui en faire part.

Aussi, il est important de rappeler que Pascal Rambert n'est pas le seul à utiliser cette technique de récolte d'information afin de créer ses spectacles. En effet, cela peut même se rapprocher du théâtre documentaire, une sorte de témoignage de ces jeunes acteurs ; on pourrait d'ailleurs citer le nom de la metteuse en scène Émilie Rousset qui, grâce à ce même principe de récolte d'informations, façonne ses spectacles. Également, cette forme de témoignage des rêves que prend les dialogues des comédiens peuvent faire échos au spectacles Mes parents de Mohamed El Khatib ; ici nous avons une sorte de disposition similaire puisque dans les deux spectacles, les comédiens semblent nous apostrophés. S'ensuit alors de longues sessions d'écoutes dont découle un travail dense et broussailleux. Le but du jeu était donc pour Pascal Rambert de donner une forme et une présence scénique à leur inconscient, les rêves sont le reflet de leur intérieur, ils représentent leurs pays, leur intériorisation la plus profonde et parfois, inavouables. Passant par les peurs, les fantasmes, la violence, l'âge qui passe... L'idée est donc ici de mettre en scène une pluralité de rêves, une arborescence, où tous se fondent et se confondent.

Bien évidemment, la pandémie étant passée par là, celle-ci est également retranscrite, notamment de par l'enfermement dans un 9m², "enfermer dans mon 9m²" est une citation qui revient en continue durant les 2h30 de spectacle. Aussi, de part l'omniprésence des téléphones portables, des selfies, Pascal Rambert cherche également à faire part de l'individualisme dans lequel à plonger chaque jeune durant cette pandémie, cet enfermement ayant engrangé une dissolution des liens sociaux, maintenant entretenu via les portables.

Pour se faire, le metteur en scène fait appel à différents éléments tels que le décor, l'éclairage, la mise en scène, passant également par le travail de la voix et du corps. En effet, derrière les flots de paroles proférées par chaque comédiens, nous remarquons dès le commencement même du spectacle que les corps des acteurs occupent une partie centrale. Ces corps sont mouvants, jamais figés, toujours en action ; comme traverser par des ondes, au rythme de la musique d'ambiance qui s'apparente quasiment à des battements de cœur. 


Pascal Rambert tente avant tout de donner corps et voix au réel. Pour ce faire, il abandonne tout procédé narratif habituellement employé, il conçoit avant tout ses spectacles pour des comédiens, leurs créant ainsi des rôles taillés sur-mesure, à la fois entre performance et installation. Il dit alors de ses créations que se sont des "pages blanches" dans lesquelles le spectateur est invité à écrire à l'intérieur. Il offre alors le pouvoir d'une langue riche à ces jeunes comédiens, jouant leurs propre rôles, une langue et un verbe enflammé, quasiment brutal parfois, contenant de denses monologues. Dans Dreamers, Pascal Rambert essaie de rendre compte des rêves de jeunes adultes, ayant en parallèle pour fond le sacrifice d'Isaac, imagerie biblique où l'enfant est finalement sauvé, comme s'il fallait passer par l'horreur, comme si la répulsion et l'aversion était nécessaire. Ce récit biblique fait partie intégrante de la pièce, en effet le sacrifice avorté d'Isaac, dans lequel Dieu donne un bélier à Abraham pour ainsi l'empêcher de tuer son fils est en réalité la boucle récurrente et omniprésente dans laquelle se joue les différents récit de ces jeunes comédiens ; entre rêve et cauchemars, entre réelle et irréelle.


Le décor et le plateau sont également des éléments desservant la thématique du metteur en scène, en effet, ce minimalisme, pour ne pas dire épuré tant il en est simple, permet, au final de donner encore plus d'importance aux corps et aux voix. Il règne donc un blanc immaculé. Inspirant parfois la froideur, parfois l'apaisement ; les néons de part et d'autre renforce l'onirisme de la pièce. Tout semble lisse, du moins en apparence. Sur ce sol blanc, des taches sombres ponctue, une plante, un piano. Contrastant avec le blanc pur, vierge, se déploie cependant un torrent sombre, noir, violant.

Le décor lui est, comme dit précédemment, particulièrement simple, épuré, minimaliste ; presque troublant de par son "vide" ambiant, sa froideur, nous rappelant quelquefois un appartement étudiant que l'on aurait vidé de ses meubles. C'est par ailleurs dans ce cadre de vie de jeunes adultes que va se dérouler la pièce. Cet espace où évolue chacun des jeunes comédiens dans une danse lente, tantôt lourde tantôt aérienne, presque une forme de transe onirique si on peut le dire, permet une évasion dans le milieu des rêves, des songes, des fantasmes.

Dans cet endroit à la fois perçu par chacun comme sécurisant mais aussi dangereux, des voix paraissent comme "envoyer" de part et d'autre de la scène, des comédiens présents, premièrement par leurs corps mais aussi par leurs voix. Ils parlent, beaucoup, fort, dans un flot incessant de parole. Néanmoins, ces vocables sont agréables à écouter, presque comme une partition musicale. A plusieurs moments, on peut être pris au jeu de ces mots chantants, et on peut alors en oublier le fond réel de ce discours. Par ailleurs, le discours est parfois lourd, redondant, répétitif ; il faut être  attentif afin de saisir l'idée même derrière tout cela.

Chaque comédiens est constamment en mouvement, aucun ne reste là, stoïque sur place. Leurs corps vie, possèdent l'espace, leurs gestes sont calibrés, chorégraphiés ; leurs corps jonchent le plateau, occupant ainsi l'espace. Par ailleurs, le théâtre contemporain se situe davantage du côté de la recherche du mouvement, de l'existence de par le mouvement, la parole, le corps, de tentatives et de prises de risques. Également, le théâtre contemporain fait appel aux nouvelles technologies qui nous entourent aujourd'hui quotidiennement,


grâce à diverses dispositifs permettant de travailler le sons et l'image : ceci deviennent alors de nouveaux matériaux, des matières tangibles, permettant une construction de la pièces comme ça en est le cas dans Dreamers de part l'apparition des caméras, qui d'une certaines façon ponctue la pièce,  qui génèrent des photos des comédiens en direct et les projetant ; cela confère une réelle valeur ajoutée. Cela permet de déstabiliser le public, en l'appliquant de manière plus fortes dans la pièce, ouvrant donc de nouveaux horizons à explorer, de nouvelles perspectives à sonder allant jusqu'à la transgression pour exprimer une idée, un point de vu, servant à engager une prise de conscience, une réflexion chez le spectateur. 

Un comédien prononce cette phrase "la mort rôde et veut dévorer la jeunesse", c'est ici, dans cette pièce, le véritable sens des rêves de ces jeunes. Leurs rêves incarnent leurs propres questionnements, sur leur monde, sur leurs désirs, sur leurs peurs, sur leurs haines. Ils se questionnent sur leur jeunesse, ce moment si particulier de notre vie. Une période où les festivités sont à leurs paroxysmes, où l'attirance des corps est exacerbée et, parfois, étouffée, puis surgit de nouveau avec encore plus de fougue et d'ardeur. Pascal Rambert cherche ici à rendre compte des rêves de ces jeunes partager entre leurs études et leurs futurs vies professionnelles. Cette pièce et avant tout un savant mélange des corps et de la rêverie, une réelle chimère se créée sur scène où les allégories s'entremêlent, créant une certaine poésie où la matérialité des corps fusionne aux rêves, libérant dans tout la salle une ambiance fantasmagorique.


Néanmoins, nous pourrions nous poser la question sur ce choix d'avoir comme fond un récit biblique, il s'agit donc du sacrifice d'Isaac qui est un élément prépondérant de la trame de cette pièce, revenant plusieurs fois sur ce composant avec notamment beaucoup d'expressions et notions s'y rapportant, tel que le sacrifice, de soi mais aussi de son propre corps. En effet, la bible est une fable souvent usité, notamment pour la qualité du langage employer mais aussi, et surtout, pour l'imagerie qui en émane : des flammes de toutes part, des cieux s'ouvrant, des anges qui montent et d'autres qui tombent, des démons, miracles, des torture inimaginables, de longues théories sur l'amour impossible, des sujet souvent en relation sur la mort. Par ailleurs, ce passage de la bible représente avant tout une longue traversée, fastidieuse, répétitive, éreintante ; d'une certaine lourdeur parfois, montrée à la fois par le flot de paroles mais aussi par l'ambiance sonore, comme un éternel recommencement.


  • Burlet Solène 

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