L'arbre à sang, un contraste obscur entre le témoignage et la curiosité morbide

 



Othellie Deschodt


Adaptation du texte The Bleeding tree de l’auteur australien Angus Cerini, L'arbre à sang expose un témoignage d'une famille qui se délivre de l'enfer qu'elle vivait en accomplissant un meurtre.


L'histoire commence dans une ferme en Australie, une mère et ses deux filles viennent de tuer leur mari et père violent. Face à cela une question se pose : « Que faire du corps ? ». Plusieurs personnes du voisinage viennent à la rencontre des trois femmes, la tension monte. La pièce joue sur le fil du suspens, ce qui rythme les scènes. Dans une langue brutale et franche, on ne peut en vouloir à ses femmes qui se sont juste défendues. Cette pièce nous questionne sur l’inaction des violences domestiques et sur le fait qu’une personne peut ou non mériter la mort. 


L'Arbre à sang a été mis en scène par Tommy Milliot. Avec sa compagnie Man Haast fondée en 2014, il met au centre du processus de création l'écriture, le rythme des mots et leur sonorité. Cette mise en valeur de la langue se fait ressentir durant le spectacle. Les trois comédiennes, Lena Garrel, Dominique Hollier qui est d'ailleurs la traductrice du texte, et Aude Rouanet, dressent aux spectateurs l'acte qu'elles ont commis en expliquant chaque étape. Elles nous expliquent que la première fille l’a frappé aux jambes, la seconde à la tête et enfin, la mère l’abat en tirant, avec un fusil, dans le cou du mari. Puis, chaque jour qui passe, elles développent l’état du tortionnaire accroché sur l’arbre : ces boyaux sortent et s’étalent sur le sol, les rats et les insectes viennent le dévorer de l’intérieur,...  Ce qui est intéressant dans cette pièce c'est de voir un sujet si violant être prononcé de façon humoristique. Malgré l'horreur de la situation, on ne peut s'empêcher de rire avec elles, on ne peut qu'être satisfait et heureux du sort de cet homme.


L'Arbre à sang c'est aussi un témoignage. La mise en scène met le spectateur encerclé autour de ses femmes victimes. Tout le monde est à la même hauteur : le public ainsi que les trois comédiennes sont assis sur des chaises, face à face. De plus, on retrouve une absence d’artifice, la mise en scène est très sobre, seulement les trois femmes disposées sur ses trois chaises. Tout le monde est égal, humain, se sont des âmes qui se soutiennent, sans être jugées par qui que ce soit.


Ici, la souffrance de l’humain ainsi que sa sensibilité est montrée grâce à la mise en scène mais aussi à la présence du public et des comédiennes. En effet, pour qu’un témoignage soit connu, il faut un interlocuteur, sans cela, la parole n’est pas entendue et donc oubliée. Sans le public, ses femmes ainsi que leur histoire seraient inconnues. En racontant leur histoire, on remarque assez vite qu'elles font peu de gestes mais expriment, à travers la parole, chaque action réalisée par les différents personnages de la pièce. Elles modifient leur voix pour donner vie au mari ainsi qu'aux différents voisins. Par exemple, la mère va courber son dos et prononcer une voix plus grave pour nous représenter un voisin plutôt âgé, ou bien l’une des filles va se lever de sa chaise, se tenir droite et adopter un ton plus grave pour jouer le père violent. Ces femmes nous conte une histoire, comme un livre qu'on lit aux enfants pour s'endormir voulant montrer un côté plus enfantin à cette histoire. Or, ce conte est noir, lugubre, et donc pas fait pour les plus jeunes. On nous témoigne, de façon enfantine, un acte cruel commis par une famille qui vivait dans la souffrance et le cauchemar. 


Un témoignage est une déclaration orale ou écrite par laquelle un individu communique à autrui sa connaissance d’un fait ou d’un événement dans le but d’avertir ou de ne pas oublier. On pense tout de suite aux nombreux témoignages de rescapés des camps de concentration et d’extermination de le Seconde guerre mondiale. L’humour noir est une forme d’humour qui a pour but d’accuser l’absurdité du monde de façon cru. On suppose donc que le témoignage ainsi que l’humour noir ne vont pas ensemble. En effet, cette pièce rend le témoignage absurde grâce à cette pointe d’humour, le metteur en scène détourne complètement l’utilité du témoignage et nous montre ici comme une distraction humoristique, qui a pour but de divertir le public. Tommy Milliot s’amuse à témoigner d’un acte horrible avec une pointe d’humour. Durant toute la pièce, les deux filles et leur mère vont se vanter du sort de leur père et mari tué de leur propre main. Elles vont citer plusieurs fois la cause de sa mort, comment elles s’y sont prises, elles vont faire une description de ce pendu dans un état pitoyable, parlant de son état de décomposition depuis quelques heures à quelques jours. Mais ses trois femmes sont-elles vraiment victimes ? En commettant ce meurtre, elles deviennent donc coupables et meurtrières, pourquoi, nous public, ayons de la sympathie pour elles ? Ce spectacle nous permet de nous questionner sur la situation. Doit-on être satisfait de ce meurtre et donc soutenir des meurtrières ou doit-on être contre ce meurtre mais cela implique de soutenir un homme qui bat et violente ses filles et sa femme ? Cette question devient un dilemme complexe à résoudre : de quel côté devons nous être ? Le metteur en scène joue avec cela. Il joue sur avec la morbidité, le lugubre, il veut que le spectateur soit mal à l’aise, qu’il culpabilise, qu’il se questionne. Mais cela inclus que la personne qui regarde la pièce détient une curiosité morbide. Il s’agit d’observer pour comprendre voire apprendre à partir d’une chose qu’on ne voit pas tous les jours, le plus souvent quelque chose de malsain comme par exemple vouloir voir un cadavre. Cela est instinctif chez l’être humain, il déteste ne pas savoir, cela en est presque un besoin vital. Le problème avec cette curiosité c’est que cela devient malsain voire dérangeant. On appelle les spectateurs à imaginer, à penser quelque chose d’horrible et à en trouver une certaine fascination. Il paraît évident que cela pose plusieurs soucis. On insiste, avec ce spectacle, à s’intéresser à un contenu gore, à un contenu qu’on ne devrait pas s'infliger. À partir de là, on peut soulever la question du “Est-ce qu’un meurtre peut être excusé ?”, bien évidemment il est difficile de répondre. Le metteur en scène, ainsi, torture le spectateur du début jusqu’à la fin de la pièce. Ce spectacle veut montrer que la morale humaine est dépassée.  


L'Arbre à sang nous questionne sur les rapports familiaux et ainsi nous laisse spectateurs avec des questions sans réponse : « Quel est le pire qu'on puisse faire ? », « Est-ce qu'on peut mériter la mort ? », « Peut-on être satisfait de la disparition de quelqu'un ? ».  Mais cette pièce laisse le spectateur dans un sentiment de malaise. En effet, celui-ci se pose des questions horribles, qu’il ne devrait pas penser ni même imaginer, et pourtant, durant tout le spectacle, le public sourit et rit face à cette situation. La question “Pouvons-nous rire de tout ?” apparaît. Cette pièce est un parfait exemple de la curiosité morbide de l’homme, il veut toujours savoir plus au point de dépasser certaines limites.Grâce à cette mise en scène, Tommy Milliot nous montre l’importance de la parole ainsi que les mots utilisés pour décrire au mieux l’histoire que les personnages ont vécus. Mais, il joue énormément avec la curiosité morbide du spectateur ce qui mène à réfléchir sur sa vraie pensée critique de la pièce. On se demande si ce spectacle est instructif ou bien permet de divertir le public en leur proposant une thématique plus malsaine, qui va faire apparaître aux spectateurs cette idée de vouloir savoir même si la situation est horrible. Sa curiosité morbide va prendre le dessus et va donc faire réfléchir le public sur des questions atroces au point qu’il va perdre son sens moral, sans réelle pensée, sans idées concrètes. Ce spectacle montre un vrai contraste entre la définition du témoignage et de la curiosité morbide. Ici, le metteur en scène ne veut pas montrer d’écart, il inclut ses deux termes qui pourtant ne devraient pas être comparés. 


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