Othello de Jean-François Sivadie
Lemaire Martin
Produire de l’amusement dans la violence. Mettre en scène le festival malgré l’absolu
cruauté. Faire tambouriner la musique en faisant fi des visions d’horreur. C’est ce que
Jean-François Sivadier s’est efforcé de faire dans sa vision de la pièce de
Shakespeare : Othello ou le Maure de Venise.
Un peu de contexte d’abord : C’est le 19 janvier dernier que s’est déroulée cette adaptation du
texte de Shakespeare au centre dramatique national de la Comédie de Béthune. Cette pièce est
un travail de réécriture elle-même basé sur un travail de traduction signé Jean-Michel Déprats.
On trouve au sein de cette adaptation une dimension festive, un souhait de tous de croquer la
vie à pleine dent. Et cela quelque soit les dilemmes, les jalousies, les tours de force et j’en
passe. Tous sur scène se donnent à une joie d’exalter par la musique et la danse l’envie d’être
en vie. Cette place primordiale de la musique a une importance capitale dans le travail de
Jean-François Sivadier. Elle vient rassembler les personnages, les rapprochant à travers
Dancing Queen d' Abba quand ils fêtent leur victoire de manière bien arrosée entre autres.
La musique remet au goût du jour la dimension guerrière, centrale dans cette pièce.
Les tambours de la guerre se transforment en une batterie, toujours là, planant sur la pièce et
jouée à fond la caisse par Roderigo (interprété par Gulliver Hecq). Celle-ci vient donner un vrai
souffle et un rythme constant, rapide et brutal aux conflits, aux disputes.
Cette musicalité permet d’accompagner un grand besoin de public. Dans l’Othello
d’origine il y a déjà une notion de théâtralité mais avec Sivadier elle est poussée plus encore
dans ses retranchements avec même ici un public devant répondre aux acteurs (et qui s’est
prêté au jeu lors de ma représentation). L’ouverture de la pièce est un bon exemple de ce parti
pris : Othello demande en mariage Desdémone, accompagné d’une musique douce installant
une ambiance intimiste, on discute avec les acteurs dans un jeu pour découvrir un peu plus la
langue d’Othello. Cette scène est d’ailleurs totalement ajoutée vis-à-vis de l’œuvre originale.
La première scène se dévoile enfin et le plateau avec lui, laissant découvrir de grandes
structures en bois de 4 mètres délimitant la scène. Ces structures donnent une esthétique
de chantier, de construction inaboutie. On a l’impression d’un espace vide inhabité, presque
hostile. Au sol la scène n’est pas sale, mais pas propre non plus, des tâches par ci, par là. Tout
est fait pour placer le plateau entre une dimension du vide, celle de l’ébauche et celle du
salissant.
Le jeu lui-même appuie sur cette notion de salissant : tous les mots sont mastiqués, parfois
littéralement : des tirades sont déclamées avec de la nourriture ou des liquides en bouche.
Le public peut apercevoir tous les postillons, les crachats des personnages. Cette dimension
accompagne la musicalité de la pièce : la voix devant plus puissante car visible. On cesse de
capter simplement du son invisible, et finissons par voir ce son dans toutes ses étendues. Sans
même vouloir jouer sur les mots, on peut ressentir que les personnages ne mâchent pas les
leurs, de mots.
Enfin la musique seule ne suffisant pas, une très grande précision dans la direction des acteurs
est à souligner et applaudir pour certaines scènes, avec une pagaille générale transmise par les
acteurs. Les liquides, les aliments, les contenants, sont amenés à joncher et habiller l’espace.
Tout est tonitruant et bruyant et permet de ressortir l’humanité des personnages vivant toutes
ces défaites et ces guerres.

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