Vie de voyou, une mise à distance entre la fiction et la réalité
Othellie Deschodt
Vie de voyou met en scène un braqueur spécialisé dans les attaques de fourgons, de banques et de sociétés informatiques. Connu pour ses évasions, dont la plus spectaculaire, par hélicoptère, qui fut qualifiée « d’évasion du siècle ». Redoine Faïd a voulu faire de sa vie une œuvre dont il serait la star.
Vie de voyou raconte l’affaire de Redoine Faïd, une histoire vraie d’un braqueur spécialisé dans le braquage de fourgons. Tout au long de la pièce, nous suivons chaque étape de l’affaire à travers différents personnages émouvants tels que l’avocate du braqueur, la juge, un policier, un journaliste ainsi que Redoine lui-même. Jeanne Lazar, la metteuse en scène, nourrit l’écriture de la pièce à l’aide d’émissions de télévision, de radio, d’articles journalistiques. Elle témoigne la vie assez riche de Redoine Faïd, sans excuser ce qu’il a pu faire mais laisse entrevoir des fragments d’humanité.
La mise en scène permet de diviser la scène en trois parties : à gauche, une table rectangulaire où des réunions commencent, au centre une table triangulaire qui permet de présenter le journal à la télévision, enfin à droite, une penderie qui permet aux comédiens sur scène de changer de costumes soutenu par le regard du public. Mais, un autre lieu sera observé par la suite. En effet, derrière cette draperie, éclairée par une lumière en douche, un homme de dos joue de l'orgue. Cet homme sans identité, vers la fin de la pièce, aura une longue et grande cape rouge, tel un super-héros. Un dernier lieu se dévoile à la fin de la pièce, tous les meubles sur la scène sont déplacés dans les coulisses pour laisser place à une scène vide, face à cette draperie sur laquelle se trouve une illustration peinte de la ville de Paris. Ce lieu représente le tribunal où Redoine ne sera pas présent par choix. Dans le spectacle, la signification des couleurs est très marquée. En effet, sur la scène, la première chose que l’on remarque est cette forte présence de la couleur bleu. On la retrouve sur le sol, la draperie tendue vers le fond de scène, sur certains vêtements. Ici, la couleur bleu pourrait être synonyme d’évasion, de justice et de foi. En effet, Faïd s’est échappé plusieurs fois de prison, la justice et la foi sont très présentes dans la pièce. Les formes géométriques comme le triangle ou le rectangle sont très présents également. On peut l’observer aussi à l’aide du décor mais aussi des tenues des différents personnages. La juge est vêtue de rouge, symbolisant la puissance et la révolte, elle veut que justice soit faite et donc que Redoine Faïd soit en prison. L’avocate est toute en noir représentant la mort, le deuil et la tristesse, elle défend son client, veut montrer une certaine injustice envers Redoine. Le gendarme est habillé de son uniforme d'officier bleu, représentant la justice. Il obéit aux lois. Le journaliste possède un maillot orange avec un costume bleu marine. Ici, la signification est plus ambiguë, l’orange représentant la communication grâce aux médias et le bleu peut révéler vouloir montrer la vérité via les médias. Enfin, Redoine est vêtu de blanc et de vert. Le blanc peut vouloir signifier la perfection, le fait d’être divin, c’est comme cela que s’imagine Redoine, comme un être supérieur qui mérite de l’attention. Mais la couleur verte est là pour montrer une toute autre image, plus réaliste pour définir Redoine. En effet, le vert est signe d’infortune et d’échec, Redoine Faïd est sans argent et finira plusieurs fois en prison à cause de ses actes. La mise en scène permet de montrer l'importance des médias dans cette affaire. Au-dessus de la draperie, un écran horizontal est suspendu, qui prévient des différentes parties de la pièce, et transmet certains évènements comme le décès d’une policière, Aurélie Fouquet. Le format de la médiatisation est marqué par le journaliste qui présente Redoine Faïd, sur un plateau de télévision, avec des invités : la juge, l’avocate et le gendarme, et avec cet espace dédié aux réunions pour la presse. Or, ce spectacle nous montre Redoine Faïd comme un héros, et non comme un bandit. Les médias l'embellissent et montrent une image positive de Redoine au public.
Vie de voyou embellit la vie d’un braqueur, qui a tué une policière et s’est échappé trois fois de prison. Sur scène, ce n’est pas un comédien mais bien une comédienne, Morgane Vallée, qui interprète le rôle de Redoine Faïd. Dès son entrée par le public, on assiste à une apparition très élogieuse, un discours de Redoine qui embellit sa vie, se prend pour une vedette. Une fois sur scène, de la fumée apparaît et il commence à chanter Gangsta’s Paradise de Coolio, célèbre musique souvent utilisée dans certains films, racontant l’histoire d’un gangster qui condamne son propre mode de vie. Redoine Faïd raconte, de manière très arrogante, sa vie de braqueur sur le plateau en présence du journaliste, du policier, de la juge et de son avocate. On présente Redoine comme un héros des temps modernes, un braqueur pas comme les autres. Il possède une prestance, une forme de séduction, que certains braqueurs non pas. Il a une double personnalité : devant les caméras, il se montre à l’écoute et dévoile sa vie comme un film, mais hors des plateaux de télévision, il braque des fourgons et tue même une policière. Les médias montrent une image plus utopique du braqueur. On le remarque avec cette citation du journaliste : “Si braqueur était un métier, il serait meilleur ouvrier de France”.
Ce spectacle montre une fausse réalité qui est transmise par les médias, et on le remarque tout au long de la pièce. En effet, lors du chant de Redoine Faïd, on peut entendre que la voix est retouchée à l’aide de l’autotune. Il fausse sa voix pour la rendre plus belle, plus agréable à entendre. Durant la pièce, les comédiens changent de costumes pour incarner un autre personnage. Ils changent d’identité sur un coup de tête, comme Redoine, entre son image à la télé et dans la vie réelle. Redoine dit qu’il est devenu braqueur grâce aux films. En effet, il s’est inspiré de certains films pour réaliser ses différents braquages. Lors de l’interview, Redoine nous parle des films qui l’inspire, comme le film Le Parrain. Redoine voit sa vie comme un film, il va d’ailleurs écrire un livre qui, par la suite, va le proposer pour le retranscrire en film.
Vie de voyou présente une fausse réalité, un monde qui embellit les bandits. Or, le but de la metteuse en scène est de ne pas excuser Redoine Faïd mais de montrer une certaine forme d’humanité auprès de lui, de montrer qu’un être humain ne mérite pas ce que peut subir Redoine. Mais peut-on avoir de l’humanité pour un braqueur ? Certes, la pièce montre une belle image de Redoine mais souhaite mettre à distance le public. Par exemple, Redoine Faïd est interprété par une femme, sûrement pour ne pas prendre au premier degrés le spectacle. On ne montre pas d’armes ni de violence sur scène, le seul signe d’une arme est le geste de Redoine, en imitant un pistolet pour menacer les personnes sur le plateau de tournage. Cette mise à distance est aussi présentée grâce aux références cinématographiques. On compare Redoine a un héros comme dans les films, or les films représentent une fausse réalité, on essaye de représenter le réel. On montre donc Redoine Faïd comme une personne fausse, qui se cache sous un masque. On le présente comme un personnage fictif, qui n’existe que dans les films d'action. Le but est de présenter qui est Redoine Faïd et l’impact qui a eu sur la société des années 2000. En effet, cette affaire a bouleversé la France car Redoine est différent des autres braqueurs : il va s'évader trois fois de prison, lancer une grève de la fin qu’il va tenir pendant une semaine, il explique ses évasions comme on présente un film de cinéma. C’est à nous, le public, de comprendre le message derrière ce spectacle et aussi de voir tout le travail de recherche pour créer Vie de voyou.
Vie de voyou est un spectacle politique, qui traite des actions judiciaires de cette affaire. Certes, Redoine Faïd est une mauvaise personne, qui n’a pas fait les bons choix dans sa vie, mais on ne peut s’empêcher de penser que son histoire peut devenir un véritable film d’action. Grâce à ce travail de recherches, Jeanne Lazar réalise, en quelque sorte, le rêve de Redoine, c’est ça, son geste humaniste, parler de lui comme Redoine aurait voulu se définir, comme un héros des temps modernes, mais Vie de voyou rappelle que tout ceci est à prendre avec des pincettes.

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